Les lunettes roses

Le texte qui suit vise un public avertit, vous connaissez ma franchise…

Je ne m’en suis jamais caché, travailler dans une SPA. C’est tough, en gérer une, c’est encore plus tough! Mais, il y a pire, en créer une! Ça, ça te bouffe une partie de toi! Je ne me plains pas, je l’ai choisi, j’ai appris à vivre avec la pression et le reste. On a plusieurs beaux projets sur la table et comme à chaque fois qu’on a des projets qui s’en viennent, je me force à mettre les cartes sur la table avant de commencer. Pourquoi? Parce-que ceux qui sont lucides, restent, les autres, débarquent avant qu’on commence!

La semaine dernière, on a publié une photo de la nouvelle chatterie avec tous les ajustements, on a 99% de bons commentaires et quelques plaintes comme quoi les chats étaient en cage en permanence. Je vais vous dire quelque choses que personne dans ce milieu n’osera vous dire : En faisant ça, on réduit la quantité d’euthanasies par moitié! Voilà, je l’ai dit, j’ai osé dire le mot interdit : E-U-T-H-A-N-A-S-I-E-S. Parce-que voyez-vous au Québec, les gens qui ne connaissent pas le milieu ou qui fond du rescue à très petite échelle (sans contrat avec des municipalités) souffrent d’une maladie grave : la maladie des lunettes roses! Cette maladie grave provoque une vision à tunnel, mais pas n’importe quel tunnel, un tunnel rose! Dans ce tunnel rose, les chiffres du Québec n’existent pas! Il y a les chiffres de la France, ceux des États-Unis, mais pas ceux du Québec. Parce-que les chiffres du Québec oblige les gens à réaliser l’échec d’une société…

IL Y A 500 000 ABANDONS D’ANIMAUX AU QUÉBEC, À CHAQUE ANNÉE! Voilà, l’échec de la société québécoise! De porter des lunettes roses ne fait qu’accentuer cet échec, parce-qu’à chaque fois qu’un porteur de lunettes roses commente et/ou publie quelque-chose, il y a quelqu’un au Québec qui pense que la situation n’est pas si pire que ça!

Là, lâchez-moi avec vos histoires de fourrières à but lucratif, celles à but non- lucratif pis toute cette bouillie-là! Dans les SPA/SPCA/Refuges/Services animaliers/ APCVV (Apellez-les Comme vous voudrez) qui ont des contrats avec des municipalités, il y a 3 mentalités différentes : 1- Les gestionnaires 2- les profiteurs 3- les Greens

1- Les gestionnaires ont généralement les moyens financiers appropriés. Ils sont gérés comme des buisness, par des gens lucides, qui ne font pas nécessairement partie du milieu et prennent des décisions froides, tranchées. Leur taux d’euthanasies sont stables, ils ont des barèmes claires, précis. En ayant les moyens financiers, ils ont des installations neuves ou presque, les municipalités les adorent, ils représentent une entreprise comme les autres avec des statistiques stables, une direction claire.

2- Les profiteurs ne se posent pas de questions, l’animal entre, il doit sortir au pc, sur ses quatre pattes ou dans un sac, peu importe pour eux. Ils ont le minimum de tout : Installations, employés, animaux, conscience. Un chien, un chat, une table…pas de

différence pour eux! Ils sont là pour le cash : La demande est forte, l’offre, quasi inexistante!

3- Les greens commencent dans le domaine. Ils ne sont pas profiteurs, on ne devient pas profiteur, on l’est en partant! Les greens doivent se casser la gueule assez longtemps pour devenir des gestionnaires. Pourquoi il faut devenir un gestionnaire dans ce milieu? Parce-que sinon, soit vous allez terminer en dépression (à divers niveaux) ou vous aller devenir hoarder (syndrome de dyogène) !

Ça fait 5 ans que je fais ça, j’ai autant d’ennemis que j’ai d’amis. Si vous voulez faire ça et avoir juste des amis, vous allez être déçus, vous allez finir en dépression sévère! Il y a toujours un gérant d’estrade pour vous critiquer, pour vous taper sur la tête! La pression? Je vais vous faire un aveux…Pendant la « Crise des chiens sauvages de Granby », j’avais tellement de pression que je me suis mis à faire des crises de panique. J’en ai fait pendant un an et demi! Difficulté à conduire, impossible de me concentrer, des migraines où je perdais partiellement la vue, etc.

Là, je vois très bien la question qui vous brûle les lèvres : « Carl, dans quelle catégorie tu te situes? » Croyez-le ou non, je me considère encore dans les « greens », parce-que le pas pour devenir gestionnaire, j’arrives pas à le faire! Les chiens, c’est facile! Les adoptions vont très bien, les cas plus difficiles, on réussit à les transférer ailleurs. Les chats, c’est une autre histoire! Tout le monde déborde de chats, impossible d’en transférer! Trop de gens refusent de stériliser leur chats, ils se reproduisent comme des lapins, c’est une roue qui tourne! Le stress provoque de la maladie, la maladie engendre des coûts, la loi des chiffres nous coupe le cou! On a changé notre façon de les présenter, de les soigner, de les garder en cage, les résultats sont incroyables, on se croise les doigts…je vais peut-être pouvoir créer une quatrième catégorie…

Voilà, c’est dit. La réalité, sans décorations. En passant, je n’en veux pas aux lunettes roses, la réalité est tellement laide, comment leur en vouloir de chercher à l’embellir…

Carl Girard
Directeur SPA des Cantons Éducateur Canin